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Les données que nous voulons garder vont-elles s’effacer?

Un rapport des académie des sciences et des technologies

Longévité de l’information numérique – Les données que nous voulons garder vont-elles s’effacer? (14€, Mars 2010) est un rapport d’un groupe de travail commun Académie des sciences et Académies des technologies

Pourquoi s’intéresser à la préservation à long terme de l’information numérique, alors que les capacités de stockage numérique n’ont jamais été aussi vastes et bon marché?

C’est qu’il ne faut pas confondre deux notions très différentes, celle de stockage des données et celle de leur archivage. Les progrès spectaculaires des disques durs et la chute de leur prix permettent maintenant de stocker aisément de l’information, généralement en plusieurs exemplaires, pour s’affranchir des risques de pannes imprévisibles comme les ‘disk crash’.

Mais archiver de cette façon sur des décennies ou un siècle pose un tout autre problème, du fait que les supports numériques n’ont qu’une durée de vie de 5 ou 10 ans environ. Dès qu’un disque dur arrive en fin de vie et risque de perdre définitivement les données, il est indispensable de les recopier vers un support neuf. L’évolution des supports étant difficile à prévoir, seul un suivi constant des données permet d’en assurer l’archivage, avec un coût d’organisation important.

Les disques optiques enregistrables ont quant à eux des capacités plus réduites mais sont crédités d’une meilleure durabilité, comme le suggère le vocabulaire courant: on ‘grave’ des données sur un disque enregistrable. Cette notion de ‘gravure’ nous renvoie inévitablement à l’image des inscriptions antiques gravées dans la pierre et le marbre de vestiges millénaires. Ce sentiment de sécurité est malheureusement trompeur: aucun support actuellement commercialisé ne peut garantir une bonne conservation bien au-delà de 5 ou 10 ans environ. Nos sociétés génèrent des masses toujours plus grandes d’informations, alors que la durée de vie des supports disponibles pour la conserver n’a jamais été aussi courte. Si ce problème est correctement pris en compte dans quelques organismes publics spécialisés, il est très largement ignoré du grand public ainsi que de la majorité des institutions ou entreprises. Beaucoup d’information, personnelle, médicale, scientifique, technique, administrative, etc. est en danger réel de disparition.

Le groupe PSN (Pérennité des supports numériques) a été créé à l’automne 2008 par les deux Académies, des sciences et des technologies, à la suite à la constatation de cette situation préoccupante, et avec l’ambition de faire un point sur le sujet.

Le rapport se donne un périmètre précis (chapitre 1), indispensable pour un sujet où les digressions possibles sont nombreuses. Il se concentre d’abord sur la fraction de l’information qui garde sa valeur à long terme: documents personnels – souvenirs familiaux, données médicales, etc. – ou documents publics – données scientifiques acquises lors d’expériences uniques, etc.

Ensuite sont discutées les stratégies possibles (chapitre 2): ‘archive et oublie’, dite parfois stratégie passive, la plus naturelle; la stratégie active (migrations perpétuelles); la délégation à un prestataire de service; le retour à l’analogique. Les différents supports de stockage sont passés en revue dans un troisième chapitre (disques optiques enregistrables, bandes magnétiques, disques durs, mémoires flash, etc.), avec une brève discussion de leurs qualités et limitations. Le quatrième chapitre évalue la possible généralisation de la stratégie active à l’ensemble des besoins de la société, qu’il s’agisse de documents personnels du grand public ou de ceux des établissements publics et des entreprises privées. Le dernier chapitre se concentre sur les disques optiques numériques enregistrables, pour lesquels toute une série de mesures alarmantes ont été effectuées récemment. Il souligne le caractère non fondamental des problèmes rencontrés: si le vieillissement des disques optiques enregistrables est actuellement mal contrôlé, cela tient plus aux priorités qui ont été retenues dans les choix du marché qu’à des raisons essentielles. Le rapport propose quelques pistes qui pourraient conduire à des disques enregistrables de bien meilleure longévité. Une série de quatre recommandations est émise en fin de rapport.     

Conclusion et recommandations   
Dans tous les pays, le besoin sociétal est le même, réel et pressant. L’Unesco a rédigé une ‘charte sur la conservation du patrimoine numérique’. Hélas, aucune réponse claire ne peut être apportée pour le moment, faute d’une bonne solution acceptable. Celle de la ‘préservation active’ semble pour le moment la plus sûre, et c’est celle des quelques grands établissements spécialisés. Elle n’est cependant probablement pas transposable à l’échelle de tous les besoins, y compris familiaux et personnels. Les disques optiques numériques enregistrables, par leur simplicité de principe, ne semblent pas loin de remplir le cahier des charges, mais il faudrait améliorer leur construction actuelle; des études sont nécessaires pour cela. Pour le moment, ces études ne sont entreprises ni par le secteur privé (à notre connaissance) ni par les laboratoires publics, faute d’un programme permettant ces recherches. Elles seraient pourtant d’une grande utilité pour la société, mais la difficulté est qu’elles ne sont pas de la recherche, ni fondamentale, ni industrielle, puisque leur objectif n’est pas aujourd’hui celui des constructeurs. Espérons que ce rapport les incitera à tenir compte davantage de l’impératif de l’archivage à long terme, et des possibilités de nouveaux marchés que pourraient créer des produits donnant des garanties solides sur ce plan.   

L’industrie japonaise semble avoir pris conscience du problème. En témoigne la création toute récente (août 2008) d’un centre indépendant de tests des disques optiques numériques enregistrables (DONE), le Archive Disc Test Center, dans le cadre du projet Bifröstec. Depuis début 2009, ce centre dispose d’un laboratoire et de 5 enceintes de vieillissement accéléré (température et humidité) ainsi que de testeurs donnant accès aux paramètres des disques optiques enregistrés. Les fournisseurs pourront, moyennant finances, soumettre des lots de 100 DON à ce centre indépendant, qui mesurera leurs propriétés sous vieillissement accéléré. Si les résultats sont satisfaisants, le centre attribuera un label, concrétisé par un logo ‘Optical Disc Archive Time Test’ qui indiquera aux acheteurs que les disques correspondants ont bien résisté aux tests. Il est clair que cette initiative japonaise est très intéressante, et qu’il serait de l’intérêt des pays européens de s’y associer dès que possible. Le problème intéresse de nombreux pays. La France, en particulier avec l’expérience acquise par les travaux du LNE, est bien placée pour jouer un rôle dans ce domaine.   

Recommandations   
Un message d’alerte au grand public, aux établissements et à l’administration, doit être lancé. Le problème n’est pas spécifique à la France, mais mondial. Une action au niveau européen, ou dans le cadre de l’Unesco, semblerait souhaitable, afin de faire prendre conscience de l’urgence d’une politique concertée dans ce domaine.

À l’échelon national et européen,
nous proposons quatre recommandations:

  1. Débloquer les études sur le sujet. Engager rapidement une étude réellement scientifi que des phénomènes de vieillissement des supports, notamment des supports optiques, visant à dégager des recommandations fi ables en matière de standardisation de formats de supports d’archivage longue durée. Cette étude serait de préférence à mener en liaison avec les autres travaux similaires dans le monde, en particulier au Japon et aux États-Unis. Les laboratoires et équipes qui font des propositions de recherche dans ce domaine doivent pouvoir trouver un soutien financier; il faut impérativement éviter de voir leurs projets rejetés par les agences de moyens du fait qu’ils n’entrent dans aucune catégorie prévue, ce qui conduit à leur abandon. Lancer rapidement un appel à projets ambitieux visant à remplacer la technologie d’enregistrement optique actuelle (CDR et DVDR), basée pour le moment sur des processus physicochimiques complexes et mal contrôlés, par des technologies plus robustes et prévisibles.
  2. Éviter la perte des compétences dans le privé et le public. Recenser les compétences publiques et privées dans le domaine et prendre les mesures urgentes nécessaires à la préservation des compétences clés, avant qu’elles aient complètement disparu de l’Europe. Des actions conservatoires seront très certainement nécessaires avant la fin de l’année 2010, compte tenu des menaces pesant sur les dernières équipes de R & D industrielle qui sont compétentes dans le domaine.
  3. Favoriser l’innovation et l’apparition d’une offre industrielle de qualité. Sur la base des résultats des études et projets identifiés ci-dessus, favoriser l’émergence d’une nouvelle offre technologique et industrielle. Soutenir vigoureusement les quelques entreprises qui ont déjà effectué des avancées vers la réalisation de disques optiques numériques enregistrables de très bonne longévité. Ce soutien peut prendre la forme de contrats ou de commandes de dispositifs réellement innovants par les organismes publics concernés par l’archivage à long terme.
  4. Élaborer une véritable politique d’archivage numérique. S’assurer au sein de chaque ministère que les données numériques importantes (documents officiels, examens médicaux conservés dans les hôpitaux, etc.) sont bien l’objet du suivi indispensable à leur survie. Évaluer l’intérêt d’une mutualisation des moyens, dans la perspective d’une stratégie active à l’échelon national, ou de la création d’un centre de conservation des données numériques à long terme équipé de robots permettant le suivi nécessaire à grande échelle (mettre dans la balance les économies d’échelle avec les inconvénients habituels d’une centralisation). Ces initiatives doivent être soutenues par des financements publics, notamment par la France, l’Allemagne (aux niveaux fédéral et Länder) et les Pays-Bas, premiers pays concernés par la localisation des compétences clés, ainsi que par l’Union européenne.
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