Les limites de l’eÌ?crit sous forme eÌ?lectronique
Un arrêt de la Cour de Cassation
By Jean Jacques Maleval | April 14, 2009 at 3:49 pmLors de son audience du 4 deÌ?cembre 2008, la Cour de Cassation a annulé une décision de la Cour d’appel de Reims qui avait validé un eÌ?crit sous forme eÌ?lectronique. Voici cet arrêt (N° de pourvoi: 07-17622):
Vu les articles 1334, 1348 et 1316-1 du code civil;
Attendu qu’il reÌ?sulte des deux premiers de ces textes que lorsqu’une partie n’a pas conserveÌ? l’original d’un document, la preuve de son existence peut eÌ‚tre rapporteÌ?e par la preÌ?sentation d’une copie qui doit en eÌ‚tre la reproduction non seulement fideÌ€le mais durable ; que selon le troisieÌ€me, l’eÌ?crit sous forme eÌ?lectronique ne vaut preuve qu’aÌ€ condition que son auteur puisse eÌ‚tre duÌ‚ment identifieÌ? et qu’il soit eÌ?tabli et conserveÌ? dans des conditions de nature aÌ€ en garantir l’inteÌ?griteÌ?;
Attendu, selon l’arreÌ‚t attaqueÌ?, que la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne (la caisse) ayant, apreÌ€s enqueÌ‚te, deÌ?cideÌ? de prendre en charge au titre de la leÌ?gislation professionnelle la maladie deÌ?clareÌ?e le 15 novembre 2002 par Mme X…, salarieÌ?e de la socieÌ?teÌ? Continent France, l’employeur a saisi la juridiction de seÌ?curiteÌ? sociale d’une demande tendant aÌ€ ce que cette deÌ?cision lui soit deÌ?clareÌ?e inopposable en faisant valoir que la caisse ne l’avait pas preÌ?alablement aviseÌ? de la fin de la proceÌ?dure d’instruction, de la possibiliteÌ? de consulter le dossier et de la date aÌ€ laquelle elle entendait prendre sa deÌ?cision;
Attendu que pour deÌ?bouter la socieÌ?teÌ? de sa demande, la cour d’appel, apreÌ€s avoir observeÌ? que la preuve de l’envoi de la lettre d’information pouvait eÌ‚tre faite par tous moyens, eÌ?nonce qu’il ne saurait eÌ‚tre fait grief aÌ€ la caisse de n’avoir conserveÌ? que la seule copie informatique du courrier en date du 20 janvier 2003 et que le fait de l’avoir eÌ?diteÌ? sur du papier aÌ€ en-teÌ‚te reveÌ‚tu d’un logo diffuseÌ? en 2004 ne saurait constituer en soi la preuve de l’absence de reÌ?ception de l’original;
Qu’en statuant ainsi, sans rechercher si le document produit par la caisse pour justifier de l’accomplissement de la formaliteÌ? preÌ?vue aÌ€ l’article R. 441-11 du code de la seÌ?curiteÌ? sociale reÌ?pondait aux exigences des articles susviseÌ?s, la cour d’appel a priveÌ? sa deÌ?cision de base leÌ?gale au regard de ces textes;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arreÌ‚t rendu le 30 mai 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Reims ; remet, en conseÌ?quence, la cause et les parties dans l’eÌ?tat ouÌ€ elles se trouvaient avant ledit arreÌ‚t et, pour eÌ‚tre fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Douai;
Condamne la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne aux deÌ?pens;
Vu l’article 700 du code de proceÌ?dure civile, rejette la demande de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne; la condamne aÌ€ payer aÌ€ la socieÌ?teÌ? Continent France la somme de 2 500 euros;
Dit que sur les diligences du procureur geÌ?neÌ?ral preÌ€s la Cour de cassation, le preÌ?sent arreÌ‚t sera transmis pour eÌ‚tre transcrit en marge ou aÌ€ la suite de l’arreÌ‚t casseÌ?;
Ainsi fait et jugeÌ? par la Cour de cassation, deuxieÌ€me chambre civile, et prononceÌ? par le preÌ?sident en son audience publique du quatre deÌ?cembre deux mille huit.
MOYEN ANNEXE au preÌ?sent arreÌ‚t.
Moyen produit par la SCP CeÌ?lice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la socieÌ?teÌ? Continent France.
Le pourvoi fait grief aÌ€ l’arreÌ‚t attaqueÌ? d’avoir dit que la deÌ?cision de prise en charge au titre de la leÌ?gislation professionnelle de la maladie deÌ?clareÌ?e le 15 novembre 2002 par Madame X… par la CPAM de la MARNE est opposable aÌ€ la socieÌ?teÌ? CONTINENT France;
AUX MOTIFS QU’"il ne ressort pas des dispositions de l’article R. 441-1 du Code de la SeÌ?curiteÌ? Sociale que l’information de la victime, de ses ayants droit et de l’employeur, preÌ?alablement aÌ€ sa deÌ?cision, doit eÌ‚tre faite, aÌ€ peine de nulliteÌ?, par lettre recommandeÌ?e avec demande d’avis de reÌ?ception ; que, deÌ€s lors, la preuve de l’envoi de la lettre d’information peut eÌ‚tre faite par tous moyens; qu’aÌ€ l’heure de la deÌ?mateÌ?rialisation, il ne saurait eÌ‚tre fait grief aÌ€ la Caisse primaire d’assurance maladie de la MARNE de n’avoir conserveÌ? que la seule copie informatique du courrier en date du 20 janvier 2003; que le fait d’avoir eÌ?diteÌ? celui-ci sur du papier en-teÌ‚te reveÌ‚tu d’un logo diffuseÌ? en 2004 ne saurait constituer en soi la preuve de l’absence de reÌ?ception de l’original par l’employeur, deÌ€s lors que celui-ci ne fait valoir aucun eÌ?leÌ?ment de nature aÌ€ corroborer ses alleÌ?gations selon lesquelles la proceÌ?dure aurait eÌ?teÌ? entacheÌ?e d’une irreÌ?gulariteÌ? de nature aÌ€ porter atteinte au droit d’information de l’employeur et au caracteÌ€re contradictoire de la proceÌ?dure d’instruction; qu’il s’ensuit que c’est par de justes motifs que la Cour adopte que les premiers juges ont releveÌ? que la SNC CONTINENT exerçant sous l’enseigne CARREFOUR a pu utilement faire valoir ses droits et que la deÌ?cision de prise en charge aÌ€ titre professionnel de la maladie de la salarieÌ?e lui est opposable ; que le jugement entrepris sera confirmeÌ? dans l’ensemble de ses dispositions ; que les circonstances de la cause justifient que la SNC CONTINENT exerçant sous l’enseigne CARREFOUR soit dispenseÌ?e du paiement du droit preÌ?vu aÌ€ l’article R.144-6 du Code de la SeÌ?curiteÌ? Sociale";
ALORS, D’UNE PART, QU’il incombe au deÌ?biteur d’une obligation leÌ?gale d’information de rapporter la preuve de l’exeÌ?cution de son obligation, c’est-aÌ€-dire de la transmission de l’information au creÌ?ancier; qu’il incombe deÌ€s lors aÌ€ une CPAM, tenue en vertu de l’article R. 441-11 du Code de la seÌ?curiteÌ? sociale d’assurer l’information des parties sur la proceÌ?dure d’instruction et les eÌ?leÌ?ments susceptibles de leur faire grief preÌ?alablement aÌ€ sa deÌ?cision, de deÌ?montrer que l’employeur a eu effectivement connaissance de la cloÌ‚ture de l’instruction avant la deÌ?cision de prise en charge ; que cette preuve ne saurait eÌ‚tre rapporteÌ?e par la production d’un document informatique imprimeÌ? par la caisse pour les besoins de la cause qui permettrait tout au plus d’eÌ?tablir l’existence d’un courrier d’information mais en aucun cas l’envoi aÌ€ l’employeur, et encore moins la reÌ?ception par celui-ci, de ce courrier preÌ?alablement aÌ€ la deÌ?cision de prise en charge ; de sorte qu’en consideÌ?rant que la preuve de l’envoi de la lettre d’information le 20 janvier 2003 eÌ?tait rapporteÌ?e par la production par la CPAM de la MARNE d’un document, dont elle constate elle-meÌ‚me qu’il a eÌ?teÌ? eÌ?diteÌ? en 2004, censeÌ? reproduire un courrier de cloÌ‚ture de l’instruction portant la date du 20 janvier 2003, en l’absence de tout eÌ?leÌ?ment de nature aÌ€ deÌ?montrer, en supposant que ce courrier ait eÌ?teÌ? eÌ?tabli aÌ€ la date indiqueÌ? par la Caisse, qu’il avait eÌ?teÌ? effectivement envoyeÌ? par la CPAM de la MARNE aÌ€ la socieÌ?teÌ? CONTINENT aÌ€ cette date, la Cour d’appel a violeÌ? les articles 1315 du Code civil et R. 441-11 du Code de la seÌ?curiteÌ? sociale ;
ALORS, D’AUTRE PART, QUE nul ne peut se constituer de preuve aÌ€ soi-meÌ‚me ; de sorte qu’en se fondant uniquement sur un document eÌ?diteÌ? par la CPAM de la MARNE pour les besoins de la cause pour consideÌ?rer que celle-ci avait informeÌ? l’employeur de la cloÌ‚ture de l’instruction preÌ?alablement aÌ€ sa deÌ?cision de prise en charge de Madame X…, la Caisse a violeÌ? de plus fort l’article 1315 du Code civil;
ALORS, DE TROISIEME PART ET DE TOUTE MANIERE, QUE lorsqu’elle preÌ?tend avoir exeÌ?cuteÌ? son obligation d’information par courrier, il incombe aÌ€ la caisse de deÌ?montrer que ce courrier a bien eÌ?teÌ? reçu par l’employeur; qu’en faisant peser sur la socieÌ?teÌ? CONTINENT France la charge de prouver qu’elle n’aurait pas reçu le courrier de cloÌ‚ture de l’instruction preÌ?tendument envoyeÌ? par la CPAM de la MARNE le 20 janvier 2003, la Cour d’appel a demandeÌ? aÌ€ l’employeur de rapporter la preuve impossible aÌ€ eÌ?tablir d’un fait neÌ?gatif, rompant ainsi l’eÌ?galiteÌ? des armes entre les parties en violation de l’article 6-1 de la Convention europeÌ?enne de sauvegarde des droits de l’homme et des liberteÌ?s fondamentales;
ALORS, DE QUATRIEME PART, QUE lorsqu’une partie n’a pas conserveÌ? l’original d’un document, la preuve de l’existence de ce document peut eÌ‚tre rapporteÌ?e par la preÌ?sentation d’une copie qui doit en eÌ‚tre la reproduction non seulement fideÌ€le mais durable; que la Cour d’appel a constateÌ? que le document litigieux preÌ?senteÌ? par la Caisse, qui ne comportait pas la signature de son auteur, comme la copie d’un courrier d’information preÌ?tendument envoyeÌ? par la CPAM de la MARNE le 20 janvier 2003 avait eÌ?teÌ? « eÌ?diteÌ? sur un papier aÌ€ en-teÌ‚te reveÌ‚tu d’un logo diffuseÌ? en 2004 »; qu’en ne tirant pas les conseÌ?quences de cette constatation dont il reÌ?sultait que le document n’eÌ?tait pas une copie fideÌ€le du preÌ?tendu courrier d’information original, la Cour d’appel a violeÌ? les articles 1334 et 1348 du Code civil;
ALORS, DE CINQUIEME PART, QU’en vertu de l’article 1316-1 du Code civil, l’eÌ?crit sous forme eÌ?lectronique ne vaut preuve qu’aÌ€ condition que son auteur puisse eÌ‚tre duÌ‚ment identifieÌ? et qu’il soit eÌ?tabli et conserveÌ? dans des conditions de nature aÌ€ en garantir l’inteÌ?griteÌ? ; qu’en consideÌ?rant le document produit par la CPAM de la MARNE comme la « copie informatique du courrier en date du 20 janvier 2003 », sans rechercher si le fichier informatique litigieux avait bien eÌ?teÌ? eÌ?tabli le 20 janvier 2003 et conserveÌ? dans des conditions interdisant aÌ€ la Caisse de modifier le contenu de ce document, la Cour d’appel a priveÌ? sa deÌ?cision de toute base leÌ?gale au regard de l’article 1316-1 du Code civil;
ALORS, ENFIN ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE l’admission par le juge judiciaire d’une preÌ?tendue copie informatique qui ne preÌ?sente aucune garantie de fideÌ?liteÌ?, d’inalteÌ?rabiliteÌ? et d’inteÌ?griteÌ? n’est pas conforme aux exigences du proceÌ€s eÌ?quitable ; de sorte qu’en admettant que la preuve de l’exeÌ?cution de son obligation d’information par la CPAM de la MARNE serait rapporteÌ?e par la seule production d’un document informatique dont rien ne permettait de garantir qu’il n’avait pas eÌ?teÌ? eÌ?tabli par la caisse pour les besoins du litige, la Cour d’appel a violeÌ? l’article 6-1 de la Convention europeÌ?enne de sauvegarde des droits de l’homme et des liberteÌ?s fondamentales.
Comments
La situation en France est d'autant plus cocasse qu'il existe deux normes différentes, pour ne pas dire contradictoires, sur l'archivage électronique:
- la NF Z 43-400 qui préconise les disques optiques WORM et la micrographie COM (Computer Output Mirofilm), norme publiée en septembre 2005 et dont la version internationale a été adoptée en décembre dernier,
- la NF Z 42-013, elle révisée en février dernier, qui promeut un archivage totalement électronique (en particulier aussi sur disques durs magnétiques), sous certaines conditions plutôt lourdes à mettre en place.
Chacun a ses partisans, pour des raisons parfois plus commerciales qu'authentiques.
Pour la première, ce sont plutôt les adeptes de la micrographie - ou le peu qu'ils en restent -, et ceux qui craignent - à juste titre - la perte possible de pans entiers du patrimoine conservés sur des supports modifiables et de courte durée de vie, car il est vrai que la garantie qu'apportent le disque WORM et le microfilm (qui peut être centenaire) est incontestable, au détriment d'un accès à l'information très pénalisant. On dira les anciens.
Pour la seconde, ce sont tous ceux qui vivent de l'archivage totalement électronique, notamment les acteurs de la GED (APROGED) ou les tiers de confiance (FNTC), ainsi bien sûr que les sociétés qui proposent des CAS, fort rapides mais pratiquement tous propriétaires, intégrant des supports magnétiques bloqués en mode WORM par logiciel ou firmware, avec l'obligation de faire migrer les données sur de nouveaux supports tous les trois à cinq ans. On dira les modernes.
La Cour de Cassation applique ici la loi et se soucie donc fort peu de ces normes, qu'elle ne cite même pas et qui ne sont que des recommandations. "L’eÌ?crit sous forme eÌ?lectronique ne vaut preuve qu’aÌ€ condition que son auteur puisse eÌ‚tre duÌ‚ment identifieÌ? et qu’il soit eÌ?tabli et conserveÌ? dans des conditions de nature aÌ€ en garantir l’inteÌ?griteÌ?", dit-elle. C'est la loi. Point final. Débrouillez-vous donc pour en faire la démonstration. Mais il est clair qu'une société qui aurait scrupuleusement respecté l'une ou l'autre de ces normes serait vue d'un oeil favorable par le juge en cas de contestation sur la valeur probante d'un document qui ne serait pas l'original lui-même.